Les six raisons des bouchons en Île-de-France

27.02.2017 / Gouvernance des transports et de la mobilité, Infrastructures

Comment naissent les embouteillages dans la métropole parisienne? Qui en est responsable? Dans son édition du 19 février dernier, Le Journal du Dimanche livre les explications des spécialistes. Quelques extraits.

Le 7 novembre, 540 km d'embouteillages sur les routes d'Île-de-France ; 420 km le 8 décembre ; 421 km de bouchons le 9 janvier… contre habituellement entre 100 et 300 km aux heures de pointe. À chacun des pics relevés durant le trimestre écoulé, les mêmes causes – légères – ont produit les mêmes effets désastreux. Souvent, une météo dégradée ou quelques accrochages aux heures de pointe suffisent à bloquer l'ensemble du réseau routier. « Aux heures de départ et de retour du travail, la concentration est telle sur certains tronçons que le moindre incident a un effet papillon. Prenons le cas du 9 janvier : il a suffi d'une série d'accidents légers en début d'heure de pointe du matin pour causer la thrombose de tout le réseau », décrypte Vincent Aguiléra, directeur de recherches associé au Laboratoire ville mobilité transport (LVMT), de l'École des ponts ParisTech.

  • Les autoroutes en surcapacité
    Sollicité par 15,5 millions de déplacements en voiture quotidiens, dont plus du tiers effectué pour des raisons professionnelles, et plus de 250 000 véhicules par jour sur trois tronçons du périphérique (le segment commun entre l'A1 et l'A3 et celui de l'A104 entre Aulnay-sous-Bois et Gonesse), le réseau francilien se révèle ainsi un terreau favorable à la congestion. « Les autoroutes restent en surcapacité quasiment toute la journée, de 6 heures à 21 heures : du coup, le moindre petit bobo en heure pleine l'affecte pour longtemps, qu'il s'agisse d'une voie neutralisée par un accident, d'un chantier, d'une manifestation de VTC ou d'un cortège présidentiel », explique Jean-Pierre Orfeuil, professeur à Paris-Est et collaborateur de l'Institut pour la ville en mouvement (IVM).
  • Le « verglas d'été », l'ennemi sournois
    Dans ces cas répétés de journées noires, la météo fait souvent office d'étincelle. « La pluie multiplie, d'une part, les accidents et réduit, d'autre part, la visibilité des conducteurs, entraînant une baisse de la vitesse », rappelle, comme une évidence, Nicolas Boichon, ingénieur à l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Île-de-France (IAU-IDF). À l'instar du 7 novembre, lorsque des chutes de neige nocturnes ont surpris les conducteurs au petit matin. « Ce sont les changements de temps qui sont souvent en cause. Car le comportement des automobilistes ne s'adapte pas immédiatement, les distances de freinage notamment ne sont pas suffisantes », observe Vincent Aguiléra. Il met l'accent notamment sur les dangers et conséquences du méconnu verglas d'été : « En période sèche, les routes se salissent, avec le dépôt de suies, de poussières, de carburant ou de particules de pneus, qui dès les premières gouttes de pluie forment une couche extrêmement glissante et d'autant plus dangereuse qu'elle est invisible ». […]
  • Moins de voitures mais moins de voirie
    Depuis le début du siècle, en cœur de métropole, l'utilisation de la voiture a fortement décru : – 24 % à Paris et – 8 % en petite couronne, avec des baisses du trafic atteignant – 31 % dans Paris intra-muros, – 8,9 % sur le périphérique et – 23 % sur les radiales entrant dans la capitale. « Pourtant, même avec moins de circulation, la saturation reste la même. Tout simplement parce que cette baisse du trafic va moins vite que celle de l'espace dédiée à la voiture à Paris et en proche banlieue. Une disparition qui se traduit par la suppression de kilomètres de voirie et de places de stationnement pour faire place au tramway, à des couloirs de bus ou de vélos, ou encore à des zones 30 km/h », atteste Jean-Pierre Orfeuil.
    Répercussion malheureuse : la raréfaction des itinéraires de délestage en cas d'accident ou de bouchon sur les axes majeurs. Le manque de solutions alternatives est d'autant plus criant en banlieue qu'elle n'a pas eu la chance d'avoir son Haussmann. […]
  • Hausse du trafic en grande couronne
    Le trafic automobile a fortement augmenté dans les territoires les plus éloignés de Paris et de sa proche banlieue, avec une hausse de 12 % des déplacements quotidiens. « On assiste à un transfert de la circulation automobile vers la périphérie et la grande couronne, et notamment sur les rocades les plus éloignées, l'A86 (+ 7%) et la Francilienne (+ 10,7%) », souligne Vincent Aguiléra. « C'est là un effet de la périurbanisation et du grignotage des terres agricoles par le résidentiel », déchiffre Nicolas Boichon. […]
  • Des intersections inadaptées
    Parmi ces points durs honnis des Franciliens, l'intersection A86 nord/A4 Est a hérité du titre peu enviable de « plus gros bouchon d'Europe », avec ses 80 000 automobilistes s'engouffrant chaque jour sur les deux voies rapides du pont de Nogent. « Une capacité trop faible pour le flux arrivant des deux autoroutes », détaille Nicolas Boichon. Pour faire sauter le verrou, deux nouvelles voies d'accès doivent voir le jour d'ici à la rentrée 2018.
  • Une absence de coordination
    Quid enfin des conséquences de la piétonnisation des quais bas de la rive droite parisienne depuis la fin de l'été 2016 ? Pour la mairie de Paris, « l'évaporation du trafic » empruntant ces 3,3 km de voies est attendue sous six mois. La Région Île-de-France s'alarme de répercussions allant bien au-delà du centre de Paris, pointant du doigt des temps de parcours en hausse sur l'A86 et l'ouest de la capitale. Pour Nicolas Boichon, « l'épisode témoigne surtout du manque de dialogue et de concertation entre les communes et entre les collectivités. Si l'on veut efficacement réduire la pollution de l'air et décongestionner nos routes, les mesures doivent se prendre à l'échelle de l'agglomération ».